J’étais jeune alors. Je travaillais l’été sur les chantiers pour payer mes études. À la fin de l’été, je rencontrai un de mes amis, prénommé Jean, bien plus fortuné que moi, qui avait parcouru durant ses vacances l’Amérique. Il poursuivait des études d’ethnologie, mais était par ailleurs, tout comme moi, féru d’occultisme. Il m’invita à sa table et me demanda comment j’allais.
Le Dilemme d'Abdelaziz : Entre Difficultés et Espoir
« Le boulot, ça va, lui répondis-je. C’est dur, c’est fatigant, mais ça paye bien et l’ambiance est bonne. Par contre, il y a un de mes collègues, Abdelaziz, qui m’inquiète. Il file vraiment un mauvais coton.
- Qu’a-t-il, il est malade?
- Non, ça n’est pas cela, c’est dans la tête que ça se passe, et dans le cœur aussi. C’est un émigré, vois-tu, et il a laissé sa femme et ses enfants au bled. Ça le fait énormément souffrir. En plus, il est bien entendu en butte au racisme ordinaire. Pas sur le chantier, non, mais dans la rue, dans l’immeuble où il habite, quand il fait ses courses, partout où il va. Pas besoin de te rapporter les insultes qui lui sont adressées quotidiennement, tu connais la musique. De jour en jour, je le vois qui se replie sur lui-même, il fait le dos de plus en plus rond, il rentre de plus en plus la tête dans les épaules, il a le regard de plus en plus triste. Ce midi, on faisait chauffer nos gamelles et il m’a dit qu‘il ne supportait plus ses conditions de vie, mais que d’un autre côté, il ne pouvait pas non plus retourner en Algérie, car sa famille a un besoin vital de l’argent qu’il envoie chaque mois et, de toute manière, ce serait pour lui un terrible déshonneur. Il a ajouté qu’il se sentait desséché, arrivé à la fin, au bout du rouleau et qu’il ne voyait pas comment il pourrait remonter la pente.
Je lui ai conseillé de consulter un psychiatre, mais il m’a dit qu’il ne croyait pas que ça puisse l’aider. Et puis, de toute manière, il ne conserve pour ses besoins propres que le strict minimum et il n’a pas les moyens de se payer une consultation chez un spécialiste. Ça, il ne m’en a rien dit, mais je le sais. Il m’inquiète vraiment, je t’assure. J’ai peur qu’il tombe physiquement gravement malade ou, pire, qu’il fasse une grosse bêtise. »
La Rose de Jéricho : Plus qu'une Simple Plante
Pendant tout mon récit, Jean m’avait écouté avec la plus grande attention. Après quelques secondes de silence, il me dit : « Je connais peut-être quelque chose qui pourrait tirer ce brave homme de la spirale névrotique dans laquelle il s’enfonce. Il va me falloir un peu de temps pour faire venir d’assez loin ce à quoi je pense, de plus. Je ne garantis rien, mais ça vaut le coup d’essayer.
- Et c’est quoi?
- Une plante étonnante, la rose de Jéricho.
- Ça vient de là-bas ? De la ville dont il est question dans la Bible?
- Non, Alain, ça vient d’un endroit qui est très loin du pays de Canaan, ça vient d’Amérique ; mais tu as raison, symboliquement, ça a bien quelque chose à voir avec la ville dont les murailles s’effondrèrent après que sept prêtres hébreux, soufflant dans sept trompettes en eurent fait sept fois le tour pendant sept jours. Ça, c’est bien connu. Ce que l’on sait moins, c’est l’histoire antérieure à cet événement de cette ville qui semble à chaque fois, comme le phénix, renaître de ses cendres – et tu comprendras tout à l’heure que si la plante en question a été baptisée rose de Jéricho, c’est en rapport avec cette extraordinaire capacité qu’avait cette citée transjordanienne de survivre à toutes ces destructions et même, d’en ressortir plus splendide qu’avant.
Idéalement située sur les rives du Jourdain, Jéricho est une des plus anciennes villes du monde. Sa fondation remonterait au VIIIe millénaire avant Jésus-Christ et les archéologues ont mis en évidence que plus de vingt fois elle fut détruite, plus de vingt fois reconstruite. Avant que les Hébreux ne la rasent intégralement, c’était un centre de cultes voués à des divinités lunaires. C’est sans doute pourquoi l’Éternel s’est montré si brutal avec elle – on sait en effet que, volontiers jaloux de ses prérogatives, il supportait mal la concurrence. Pas un homme, pas une femme, pas un enfant, pas un servant, pas un animal n’a été épargné. Tous ont été passés au fil de l’épée avec interdiction absolue de reconstruire la ville. Pourtant, des siècles plus tard, Hiel de Béthel a rebâti Jéricho et, de nos jours encore, il y a une ville qui porte ce nom.
-
Oui, mais quel rapport avec l’Amérique?
-
J’y viens. C’est au Texas du sud, dans une réserve en marge du désert de Chihuahua où étaient cantonnés des Apaches, que j’ai entendu parler de la rose de Jéricho. En fait, nous, les Occidentaux, on l’appelle comme cela, mais les Indiens, eux, la nomment fleur de rocher ou plante de la résurrection. Résurrection! Le mot est parfaitement approprié. Car vois-tu, c’est une plante qui pousse dans le désert. Comme le chameau, elle peut se passer d’eau pendant très longtemps, plusieurs années même, mais tout de même, point trop n’en faut. Aussi, lorsque vraiment les pluies se font trop rares, à force de se dessécher, les feuilles de la rose de Jéricho meurent, les tiges brunies dont la sève s’est retirée se roulent en boule et les racines lâchent. La plante est morte. Morte? Oui, mais pas pour toujours. Car c’est à ce moment-là que le vent du désert l’emporte et lorsque, par un pressentiment toujours pas élucidé, le « cadavre » de la plante « ressent » qu’il se trouve au-dessus d’une zone humide, il « échappe » à l’emprise du vent et se laisse choir à terre.
La Rose de Jéricho : Un Symbole de Résilience et de Résurrection
Ça, c’est déjà extraordinaire, mais ce qui suit l’est plus encore ! Car ce n’est pas pour rien que la boule a choisi un nouveau lieu où s’enraciner. C’est pour que revive la rose de Jéricho. Dès qu’elle le peut, la plante s’imbibe d’eau et, même « morte » depuis des années, elle se déploie de nouveau et reprend sa couleur verte initiale. Cela, je l’ai vu de mes yeux, vu! J’ai vu les Indiens, au cours de cérémonies festives, déposer des boules de fleurs de Jéricho séchées sur un plat et les arroser d’eau fraîche. Et il ne fallait pas plus de trois heures pour qu’ait lieu la renaissance miraculeuse. Alors, ils la plantent, et puis, un jour, ils la font de nouveau sécher. Et le cycle « mort » / « résurrection » recommençait. Mais pourquoi les Indiens accordent-ils autant d’importance à la rose de Jéricho? Ce n’est pas pour des raisons gustatives ou nutritives, ils ne la mangent pas. Ce n’est pas non plus pour l’intégrer dans leur « pharmacie » de plantes médicinales, elle semble ne posséder aucune propriété phytothérapeutique. Certes, j’ai ouï dire qu’au Mexique, elle est utilisée comme diurétique mais enfin, à ma connaissance, les Apaches ignorent tout de cet usage.
Significations Culturelles et Spirituelles de la Rose de Jéricho
En fait, comme tous les peuples que les anthropologues et les ethnologues qualifient de « primitifs », les Apaches pensaient que l’Univers qui leur était connu formait un « tout » dont chaque constituant pouvait interagir sur n’importe quel autre, non suivant la loi de cause à effet, mais par « contagion », nous dirions par « sympathie ».
La rose de Jéricho a le bonheur de survivre ? Alors, ce sera un porte-bonheur que l’on se transmettra de génération en génération. Elle sait admirablement tirer parti des situations contraires ? Portée sur soi, séchée, elle sera réputée absorber le négatif ; pour la même raison, déposée dans une maison (ou sous un tepee), elle protégera l’endroit des attaques pernicieuses, humaines... ou autres. Enfin, puisque lorsqu’il semble qu’il n’y a plus d’espoir, elle s’en sort toujours haut la main, on en fera le recours de la dernière chance des personnes qui pour une raison ou pour une autre, s’enfoncent dans un désespoir dont rien ne semble pouvoir les extraire. Comme Abdelaziz qui est sans doute un homme du désert et qui à ce titre sait parfaitement ce que veut dire « desséché » au physique comme au mental.
Bien entendu que c’est typiquement ce que l’on appelle de la « pensée magique » qui fait ricaner les « esprits forts » et hausser dédaigneusement les épaules aux rationalistes purs et durs. Mais moi, qui ne fais pas pour autant preuve d’irrationalité, je crois que ça marche. Non, le verbe croire est impropre, je sais par expérience que ça fonctionne, que de puissants symboles actifs peuvent influer sur les événements et faire prendre une autre orientation à un destin contraire.
Mais pas toujours, comme je l’ai dit, ça non. Pourquoi ? Parce qu’il y a la loi du karma qui entre en ligne de compte. Parce que la loi de sympathie ne s’apparente pas à celle de cause à effet qui n’a que faire de l’implication des parties en présence. Au contraire, pour que le symbole puisse être actif, il est nécessaire que l’esprit de celui sur lequel il est censé agir ne rejette pas cette éventualité, qu’il coopère.
Je ne sais donc pas ce qu’il en sera pour Abdelaziz, mais je vais tout de même tenter de me faire livrer une rose de Jéricho à son intention.
Jean était un jeune homme de parole, et de ressources. Il contacta un de ses nombreux correspondants aux États-Unis et, environ quinze jours après que nous ayons eu cette discussion, il me remit un paquet contenant une rose de Jéricho desséchée, à charge pour moi de la remettre à Abdelaziz après lui avoir expliqué ce qu’il devait en faire. Mais je dois dire que je redoutais un peu de me faire « blackbouler » par mon camarade de chantier.
Abdelaziz et la Rose de Jéricho : Une Transformation
C’était à tort. Abdelaziz écouta patiemment mes explications, puis à la fin, il tendit la main, prit le paquet qui contenait la rose de Jéricho, me dit de remercier le monsieur qui avait pensé à lui et ajouta avec un sourire : « ça ne coûte rien d’essayer; de toute manière, si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal ». Visiblement, Abdelaziz avait plus confiance dans les vertus de la plante de la résurrection que dans celles de la science psychiatrique.
Toujours est-il que je l’ai vu – progressivement au début, puis c’est allé de plus en plus vite – se « redresser », reprendre goût à la vie, renaître enfin. Abdelaziz sifflotait sur le chantier, racontait des blagues, faisait de nouveaux des projets d’avenir. Il me dit qu’il ne savait pas encore comment sa vie allait changer, mais au lieu de se morfondre et broyer du noir, il était maintenant sûr que ses problèmes allaient trouver une solution.
Ce en quoi il avait raison. Un vague cousin d’Abdelaziz, bien en cour au Sénégal où il était chef de chantier, l’appela auprès de lui pour le seconder dans la construction d’un grand hôtel sur le littoral. Abdelaziz accepta d’autant plus que la paye était bonne et que, surtout, il pouvait faire venir auprès de lui femme et enfants.
Réalité ou Placebo ? Le Pouvoir de la Croyance
Lorsque je raconte ce genre d’histoires vécues en public, il y a toujours quelqu’un pour me dire : c’est un effet placebo.
Bon. Je veux bien admettre qu’il est possible que la croyance-à supposer qu’elle existât et rien n’est moins sûr – qu’Abdelaziz nourrissait dans les pouvoirs de la rose de Jéricho soit la raison pour laquelle il a retrouvé le chemin de l’espérance.
Mais que l’on ne me dise pas que la proposition qui lui fut faite par son cousin alors qu’il l’avait rencontré pour la première fois au cours d’une fête familiale célébrant le printemps Berbère, c’était dû à un quelconque effet placebo.
Personnellement, je pense que tout comme nous, les animaux, les minéraux ont « une âme ». Je pense que « l’âme » de la rose de Jéricho d’ Abdelaziz a bercé ce dernier avec un doux chant qui lui a fait oublier sa solitude. Et puis, la plante a joué son rôle de porte-bonheur, et elle lui a offert la possibilité de nourrir les siens tout en étant auprès d’eux. C’est ce que je crois, sincèrement.
Et vous qui me lisez, vous en pensez quoi ?
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